Noblesse oblige


Chapitre 1: Le baron

Nous sommes dans la campagne bretonne, sur la côte de granit rose, pas très loin de Paimpol dans les Côtes d’Armor. Après avoir franchit une grille en fer forgé, nous remontons une allée sur une centaine de mètres, bordée de grands arbres et de pelouse. Puis nous arrivons dans la cour au milieu de laquelle trône une jolie fontaine en pierre, ornée d’un dauphin qui crache de l’eau. Puis quelques parterres de fleurs avec surtout des hortensias de différents tons de bleus et violets. Et là, devant nous, le manoir tout en granit gris clair, sur deux étages. En haut des six marches du perron, une lourde porte en bois foncé. Il fait frais à l’intérieur du grand hall aux murs de pierre et au sol en carrelage noir et blanc. Des tableaux ornent les murs, ainsi que quelques armes genre épées, vieux pistolets et, un peu incongru dans le décor, deux superbes katanas entrecroisés… En face, un escalier de bois sombre monte vers l’étage et à droite et à gauche plusieurs portes pour aller dans les différentes pièces.

Un homme d’une soixantaine d’années traverse le hall chargé d’un plateau et frappe à une des portes, puis entre.

- Monsieur le Baron, je vous amène du café et du quatre quart tout juste sorti du four, car vous n’avez pas beaucoup mangé ce midi…

- Merci Yann, c’est très gentil et cela sent très bon !

L’homme, qui était l’intendant du manoir, posa le plateau sur un coin du grand bureau encombré de papiers et sourit au jeune homme assis devant lui. Il avait des cheveux blancs et des yeux gris doux et bienveillants lorsqu’il regardait son jeune maître. Le garçon quant à lui, devait avoir environ 23 ans, il avait de longs cheveux bleu indigo et de superbes yeux bleu sombre qu’on ne devait pas pouvoir oublier une fois qu’on les avait vus. Le majordome se retira et le jeune homme prit son goûter, plutôt pour faire plaisir à son intendant qui s’occupait si bien de lui que par faim réelle. Tout en mangeant il continuait à lire et à trier ses papiers en soupirant parfois.

-« Des factures et encore des factures ! Quelle idée saugrenue j’ai eu de revenir dans cette maison pour essayer de la sauver de la vente et de la ruine ! Bien sûr c’est la maison de ma famille depuis des générations et je suis le dernier des Vallandrais maintenant, alors forcément quand j’ai reçu cette lettre de Yann, je me suis dit que peut-être j’y arriverais… Mais ça fait trois mois maintenant que je suis là, et à part les réparations les plus urgentes je n’ai pas pu faire grand-chose d’autre ! Le fait d’avoir été un chevalier d’or au service d’Athéna ne m’a pas rapporté de quoi entretenir cette maison… Milo m’avait mis en garde et j’aurais mieux fait de l’écouter… Un petit sourire étira ses lèvres… Milo, tu me manques mon ami… et les autres chevaliers aussi d’ailleurs… Il soupira à nouveau : allons bon, Camus chevalier du Verseau qui se laissait aller à la sensiblerie… heureusement qu’il n’y avait personne pour le voir ! » Il secoua ses longs cheveux bleus et le soleil d’automne qui passait à travers les vitres de la grande porte-fenêtre y accrochèrent des reflets vert foncé… Il se remit au travail.

Effectivement, Camus étant le dernier descendant de la famille de Vallandrais, il se retrouvait donc l’héritier légitime du Manoir, des terres qui l’entouraient et du titre de Baron. Seulement la demeure familiale était très ancienne et pas en très bon état. Yann et sa femme étaient les seuls à avoir continué à s’en occuper avant de retrouver la trace du chevalier d’or en Grèce. L’intendant avait demandé au Verseau de venir voir par lui-même et celui-ci s’était laissé séduire par les vieilles pierres pleines de charme et de souvenirs. Pas vraiment ses souvenirs à lui d’ailleurs, car il n’y avait jamais habité et ne se souvenait que de deux ou trois visites faites ici avec sa mère alors qu’il n’avait que quatre ou cinq ans. Milo l’avait mis en garde, lui rappelant qu’il n’avait pas d’économie pour entretenir un tel domaine, mais Camus se sentait irrésistiblement attiré par le manoir et par sa terre natale. Il était donc parti pour voir… et il était resté. Le chevalier d’or du Verseau avait repris son nom : Gabriel de Vallandrais.

Afin de faire rentrer un peu d’argent, en plus de la petite rente que versait Saori à ses chevaliers, le nouveau maître des lieux avait décidé de louer quelques chambres pendant la saison touristique. Cela avait un peu marché au mois d’août mais, maintenant on était en novembre et comme il n’y avait pas de chauffage au manoir, il n’y avait plus de demande…

Soudain Camus fut interrompu dans son travail par des bruits de voix dans le hall. Plusieurs personnes on aurait dit… des clients peut-être ? Etonnant en cette saison ! Le jeune homme travailla encore un moment, puis intrigué, et alors que le calme était revenu, il décida d’aller voir si effectivement, il y avait eu des arrivées. Il sortit de son bureau et se dirigea vers la table où était posé le registre des inscriptions des clients. Et oui, cinq noms étaient inscrits sur la page du mois de novembre à la date d’aujourd’hui ! A. de Fersen, A. Albiero, S. Razbotra, M. de Jamir… Camus sentit son cœur manquer un battement à ce nom… mais c’est le dernier nom qui faillit lui faire perdre son sang froid : M. Salakis !

Il se dirigea vers les escaliers et croisa Yann qui redescendait.

- Ah monsieur le Baron, j’allais justement vous voir pour vous dire que cinq clients venaient d’arriver pour une durée indéterminée ! C’est fantastique non ?

- Oui Yann, en effet… et cela d’autant plus que je pense que c’est des amis à moi !

- Ca ne m’étonnerait pas ! s’amusa le majordome. Je descends m’occuper du dîner…

Camus monta les dernières marches en courant.

- Bonsoir monsieur le Baron… dit soudain en français une voix bien connue avec un charmant accent grec.

- Milo, c’est bien toi ! s’exclama le Verseau.

Ces longues boucles bleu violet, ces yeux améthyste à la fois doux et rieurs, cette allure désinvolte mais élégante, il y pensait si souvent depuis qu’il était ici…

Le Scorpion s’approcha et le prit dans ses bras.

- Et oui c’est bien moi ! Je t’avais dit que je viendrais un jour…

Camus referma ses bras sur le corps de son ami et retrouva le parfum de ses longs cheveux soyeux. Si Milo fut un peu surpris de cette démonstration d’affection il se garda bien de le dire, savourant ce moment de tendre amitié…

- Et il n’est pas venu tout seul ! intervint une voix grave à l’accent italien.

Le Verseau se détacha de son ami pour se tourner vers les nouveaux arrivants qu’il accueillit avec un large sourire.

- Angelo, tu es venu aussi ! Et Aphrodite, Shaka et Mu ! Je suis très heureux de vous voir tous ! J’avoue que Jamir m’a mis sur la voie…

- Je me suis dit que ce serait plus simple que mon nom véritable qui est quasiment imprononçable ! répondit le Bélier en lui souriant.

- Mais je ne connaissais pas ton nom Aphrodite, ni le tien Angelo, par contre toi Shaka, il me semble bien que tu me l’avais dit un jout… Ca me fait tout drôle…

- Et nous on ne connaît le tien que depuis quelques jours, quand Milo nous a demandé si on voulait venir te voir, avec lui… dit Mu de sa voix douce.

- Monsieur le Baron, nous sommes positivement ravis ! rajouta Aphrodite en s’inclinant légèrement.

- Je me serais bien passé du titre mais il allait avec le manoir… dit Camus un peu gêné.

- Et les deux te vont très bien… assura le Scorpion charmeur.

Le Français conduisit ses amis vers la salle à manger où Yann toujours prévenant avait allumé un bon feu de cheminée et où la table était déjà mise pour le dîner. Puis ils s’installèrent devant un apéritif pour fêter les retrouvailles. Camus se tourna vers Aphrodite.

- Mais dis-moi, Fersen, c’est vraiment ton nom ?

- Oui… plus utilisé non plus depuis une quinzaine d’années, mais c’est bien mon nom ! répondit le Suédois. Peut-être suis-je un descendant d’Axel, je ne me suis jamais penché sur la question…

- Tu devrais le faire… suggéra Shaka, ce serait intéressant de savoir si tu es de la même famille qu’Axel de Fersen, l’amant de la reine Marie-Antoinette…

- Je veux bien faire toutes les bibliothèques de Suède et de France si tu restes avec moi tout le temps… murmura le Poisson en caressant de son regard azur la fine silhouette du blond chevalier.

Camus les regarda d’un air amusé et étonné.

- Aphrodite drague sauvagement Shaka depuis notre départ de Grèce ! expliqua malicieusement Angelo.

- J’avoue que c’est vrai, mais pas sauvagement ! se défendit l’intéressé. N’est-ce pas Shaka ?

Celui-ci, qui n’était jamais très à l’aise quand on parlait d’amour, se contenta d’acquiescer en souriant.

- Quant à Mu et moi on est ensemble depuis un mois… annonça tranquillement Angelo en entourant d’un bras les épaules du Bélier. Je te dis ça tout de suite pour ne pas que tu t’étonnes que nous soyons dans la même chambre !

- Vous deux ensemble… qui l’eut cru ! s’étonna encore le Verseau. En tout cas tu avais bien besoin de quelqu’un comme Mu auprès de toi… pour te surveiller un peu…

- Me surveiller ! Qu’est-ce que tu veux dire par là le glaçon ? fit semblant de s’offusquer l’Italien.

- Il voulait dire pour veiller sur toi… intervint l’Atlante.

- C’est cela oui… bougonna encore Angelo.

Un peu plus tard, le repas fut servit par le majordome. C’était un délicieux kig-a-farz cuisiné par sa femme Soizic et auquel tout le monde fit honneur.

- C’est délicieux ! commenta Aphrodite.

- Oui, mais heureusement qu’on n’a pas un combat à livrer juste après ! renchérit Mu.

- Mais si on en a un mon biquet… lui glissa Angelo dans le creux de l’oreille.

- Aaah vous en avez de la chance… soupira exagérément Milo avec un petit coup d’œil vers Camus qui était plutôt silencieux et écoutait ses compagnons plaisanter.

- La balle est dans ton camp… dit Shaka mine de rien.

- Est-ce que tu crois qu’elle pourrait être dans le mien aussi ? lui demanda tout bas le Poisson.

Le Scorpion posa une main sur le bras de Camus.

- Tu n’es jamais très bavard, mais là tu bas ton record ! remarqua t-il. Tu as des soucis ?

- Oh, excusez-moi ! Non non, ça va, je vous écoutais…

- Tss tss tss… raconte-nous tout, insista le Grec. Je te connais quand même monsieur le mystérieux…

Camus soupira et, pour une fois décida de raconter ses ennuis financiers à ses amis.

- Je pense que je vais devoir vendre cette maison car je n’ai pas les moyens de l’entretenir…

Les cinq garçons se regardèrent.

- Ce serait dommage ! déclara Mu.

- Je ne vois pas de solution… dit le Verseau en haussant légèrement les épaules.

Le silence régna pendant quelques instants, chacun semblant réfléchir profondément. Puis Angelo se leva et commença à faire les cents pas dans la pièce les mains dans les poches.

- Tu ne peux pas vendre cette maison ! C’est ta maison et elle est très belle ! Moi si j’en avais une comme ça je me battrais pour la garder !

- Qu’est-ce que tu crois que je fais depuis trois mois ?

Le Cancer vint derrière lui et posa ses mains sur ses épaules.

- Oui je sais ! Ecoute mon glaçon, ne te précipite pas, on va t’aider à trouver une solution ! Puis sentant venir une objection il resserra la pression de ses doigts : pour une fois met ta fierté de côté…

- C’est pas la peine de me broyer les omoplates pour autant ! objecta le Français, je suis d’accord et j’accepte toutes les propositions…

- Je préfère ! L’Italien revint s’asseoir. Alors voyons qu’est-ce qu’on pourrait faire…

- Rassembler nos économies pour parer au plus pressé, si vous êtes d’accord ! suggéra Milo. Hélas j’ai été un peu panier percé depuis notre retour à la vie et je ne dois avoir que 5000 ou 6000 euros…

- Mais je ne peux pas accepter ! objecta Camus.

- Je te les donne de bon cœur… dit le Scorpion en posant une main sur celle de son voisin.

Le regard bleu violet accrocha le regard bleu saphir. Le feu brûlait dans les prunelles du Grec et le Verseau se sentit irrésistiblement attiré par cette fournaise, et… ce n’était pas la première fois…

- De toute façon tu n’as pas le choix ! intervint la douce voix de Shaka. Moi je ne dépense pas beaucoup et je dois avoir 30000 euros en réserve ! Je te les donne Camus…

- Je dois avoir à peu près la même chose et ils sont également à ta disposition ! assura le Bélier.

- Moi je suis plutôt comme Milo… dit à son tour Aphrodite. 5000 euros ça doit être tout ce que j’ai mais ils sont à toi !

- Je ne suis pas doué en maths mais en rassemblant tout, je dois atteindre les 15000 euros ! conclut Angelo.

- Ce qui nous fait environ 80000 euros… calcula Mu. Ca peut servir si tu as des factures en retard et des travaux très urgents…

- Je ne sais pas quoi dire… murmura le Verseau très gêné. Vous n’êtes pas obligés… Il regarda plus particulièrement Angelo et Aphrodite : on ne s’est pas toujours très appréciés tous les trois…

Cette fois c’est le Poisson qui se leva et qui vint passer ses bras autour du cou de leur hôte.

- Oh ça c’est des différences de caractères ! Mais moi personnellement je t’ai toujours trouvé très attirant, très mystérieux et… très sexy…

Camus ne put retenir un petit rire.

- Et c’est pour ça que tu me prêtes tes économies ?

- Oui, en partie… Mais c’est aussi parce que je suis d’accord avec ce qu’a dit Angelo sur ta maison tout à l’heure et parce que nous avons tous décidé de changer et de profiter de cette nouvelle vie qui nous est offerte !

Le Verseau devina que son compagnon cachait sous un petit ton de moquerie une sincère proposition d’amitié, et il l’accepta de bon cœur.

- C’est d’accord j’accepte à la condition que vous soyez ici comme chez vous ! Je ne peux rien vous offrir de plus pour l’instant… Et je vous remercie du fond du cœur…

- Il faut arroser ça ! s’exclama l’Italien. Il ne te reste pas une petite bouteille de Champagne dans ta cave ?

- Si il en reste ! approuva le Verseau en riant.

Un moment plus tard ils trinquaient au début de la restauration du Manoir de Vallandrais.

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